la griffe du chien 🐶 wouf

Le deuxième chemin

Le Chien, blasé par l’univers des gens prospères, avait rejeté la carrière. Au début de son congé sans fin, il s’est senti libre, mais cette libération s’est avérée fausse : l’absence de contraintes ne le satisfaisait pas. Il devait trouver un nouveau chemin, sans quoi il sombrerait dans l’ennui léthargique de la dépression.

J’ai donc emprunté le chemin qui s’opposait à celui de la prospérité : le chemin du hippie. Je souhaitais explorer le monde et vivre selon le rythme dansant de chaque nouveau jour.

Sur le premier chemin, j’avais acquis une toxique dépendance à l’heure et à la productivité qu’elle mesurait. L’horloge m’obsédait : 

Quelle heure est-il? Aurai-je le temps? Quel est ton salaire ; combien vends-tu ton temps de l’heure? As-tu remis ton travail à temps? Quel temps fait-il? Ne m’at-temps pas pour souper, je dois faire du sur-temps.

Ce cirque m’aliénait : j’ai donc cassé ma montre pour rejeter l’heure et retrouver le temps. Le temps était ma denrée la plus précieuse, la seule que je ne récupérerais jamais. Je ne pouvais plus gaspiller mes heures dans un bureau où je les échangeais contre une poignée de dollars. Je n’avais plus assez peur de la pauvreté pour tolérer l’absurdité d’un travail insignifiant.

« À quoi bon vivre si je ne gouverne même pas mon temps? » protestais-je, le regard enflammé. « Je préfère la liberté à l’opulence matérielle, et l’indépendance à la servitude à l’horaire. » Voilà l’esprit dans lequel j’ai entamé ma quête d’expériences et de liberté.

J’ai commencé mon deuxième chemin en voyageant, car j’étais intrigué par les hippies et les voyageurs sans destination. Leur regard paraissait libre et plein de sens ; leur direction semblait s’élever au-delà des quêtes mondaines. Qu’avaient-ils réalisé?

En voyageant, je souhaitais m’explorer moi-même, mais surtout, j’espérais rencontrer des personnes épanouies qui m’inspireraient.

Le voyage m’a beaucoup appris. J’y ai croisé d’innombrables collectionneurs d’expériences, plusieurs vagabonds et même quelques aventuriers. Je n’ai toutefois pas entrevu l’hippie admirable que j’avais imaginé. Ceux que j’ai rencontrés me semblaient plutôt irascibles et préoccupés. Leurs propos me rappelaient ceux de la pègre, et non ceux de John Lennon.

Que l’on parle d’un repas, d’activités ou d’une place où dormir, leurs tripes se serraient. « Combien!? », voilà ce qu’ils me répondaient chaque fois, d’une voix froide et pleine de ressentiment.

Leur aversion évidente pour l’argent crispait leurs traits. Moi qui les croyais libérés des poursuites financières, j’ai été amèrement déçu. L’argent était, pour eux, encore plus importante que pour les riches ; une tasse de thé dispendieuse suffisait à les faire rougir. Une poignée de roupies : voilà combien coûtait leur paix d’esprit!

Leur avarice et leur manque de reconnaissance était contagieux ; j’en sentais déjà la fièvre âcre. Déjà, mon portefeuille dictait mes plans. L’inconfort, l’insalubrité, l’ennui ou le danger ; rien ne freinait mon envie d’économiser.

Comment avais-je pu de nouveau mettre pied sur ce piège? Je m’étais cogné au même mur que lors de mon premier chemin, sauf qu’au lieu d’accumuler l’argent, je l’économisais. Je vivais au sein du même paradigme toxique : celui de l’avarice.

Voilà pourquoi j’ai rejeté le chemin des voyages vagabonds, des communes et de la simplicité volontaire. En tous ces lieux, on s’enfonçait dans la jalousie et l’avidité. On prétendait même que cela était vertueux!

J’étais mal pris. Cette nouvelle vie d’exploration m’avait mené à un cul-de-sac. Néanmoins, le monde ordonné des civils me repoussait toujours autant : la seule idée d’y retourner nouait mes tripes.

Découragé, j’ai choisi de cesser de poursuivre des mirages. Mes propres idées du civil prospère et du hippie libre m’avaient trahi, et je devais désormais définir clairement la vie qui m’inspirait.

J’ai ainsi exigé le beurre, et puis son argent. À suivre.



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