la griffe du chien 🐶 wouf

Les collectionneurs

Je suis un chien, et l’envie d’accumuler m’est étrangère. Je suis simple, mais cela est involontaire : chaque nouvelle chose m’apparaît comme un boulet au pied que je devrai utiliser, entretenir et ranger. Il faut donc une excellente raison pour que j’accepte une possession supplémentaire.

Attention à celle voulant m’offrir quelque chose, car j’en ferai sans doute cadeau à mon tour. Je préfère le présent qui se consomme : j’en suis vite débarrassé.

J’explore vos grandes niches et j’y remarque beaucoup d’objets. Certains vous sont si inutiles qu’un voleur pourrait vous les prendre et vous ne le remarqueriez jamais. D’où vient ce désir d’amasser tant de choses? Êtes-vous collectionneurs?

Je n’ai jamais eu la chance de vivre entre vos deux oreilles, mais je soupçonne que votre environnement entassé reflète votre mental. Je me suis infiltré dans le métro, et j’y ai observé des civils et leur visage préoccupé. Tout semblaient captifs de leurs pensées. Entretenir cette collection d’idées doit être un travail à temps plein!

J’en connais d’autres qui collectionnent les titres. Fiers, ils se bombent le torse grâce à des étiquettes qu’ils nomment « identité ». On les remarque facilement par leur signature. Leur nom ne leur étant pas suffisant, ils se présentent déguisés de principes et d’idéologies. Ce n’est plus à Rodrigue que l’on a affaire, mais à :

Rodrigue,
Anarcho-libéro-pommes,
Représentant adjoint de tout ce qui est faible,
Farouchement opposé à toute forme de propriété,
J’aime les lattés, le ski et les bains chauds entre amis.

Eh oui, comme certains l’ont deviné, Rodrigue est en quête de quête. Il cherche un noble combat auquel participer pour devenir quelqu’un. Ton combat est vain, mon brave Rodrigue : chercher une identité, c’est affirmer qu’on n’en a pas.

Les voyageurs, malgré leur « backpack », peuvent aussi être de grands collectionneurs. J’en ai même rencontré une qui l’affirmait haut et fort :

« Je collectionne les expériences, m’a-t-elle confié, le regard brillant.

— Mais où ranges-tu ta collection? lui demandai-je, intrigué. Elle doit t’être bien encombrante, toi qui voyages tant!

— Pas du tout! répondit-elle. Je garde des précieux souvenirs de toutes mes expériences, et j’ai d’ailleurs plus de 5000 photos!

— Impressionnant! m’exclamai-je, les oreilles dressées. Je n’arriverais sans doute pas à me souvenir de tant d’événements. Où étais-tu il y a vingt jours?

— Par cœur? s’interrogea-t-elle, méfiante. Je ne sais pas… sûrement dans un avion ou dans un bus. Je dois si souvent me déplacer que j’y passe l’essentiel de mon temps.

— Quelle charmante collection! »

Elle qui collectionne les souvenirs, paierait-elle plus cher pour un faux souvenir, ou pour un voyage qu’elle oublierait?

La collection est la noble cousine de l’avarice. Malgré sa réputation moins déplorable, l’envie de collectionner, comme l’avarice, ne provient que du désir de se solidifier. L’accumulation d’objets, d’identités ou de souvenirs masque la précarité de notre existence et nous prête un sentiment d’importance. Je vous l’annonce, vos collections vous aident à oublier L’Étrange-Problème-Sans-Nom.



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