la griffe du chien 🐶 wouf

La richesse

Avant ma transformation en chien, je jouais au riche. Désormais chien, je revendique la véritable richesse : je suis riche!

La richesse dépend de ce à quoi on accorde une valeur. Un chien attribue cette valeur différemment qu’un humain. Je m’en réjouis, car devenir riche est facile lorsqu’on ne convoite pas les mêmes ressources que les autres.

Dans un monde où les possessions symbolisent la richesse, le chien est pauvre. Sa petite niche, sa gamelle usée et ses couvertures humides ne suscitent pas la convoitise des civils, qui vénèrent les choses.

Pour un collectionneur d’objets, l’argent sert à accumuler et améliorer des possessions. Aussitôt une promotion obtenue, il rêve aux beaux joujoux qu’il se procurera. Endetté jusqu’au cou, il pense déjà à changer sa voiture pour une plus luxueuse. « Elle est due! » se permet-il de penser. « Mon brave collectionneur » aimerais-je lui dire, « la seule chose qui est due est ton imposante dette! »

Chers amoureux d’objets, je suis épaté. Comment ne pas voir que vos achats n’influencent pas votre bonheur? Au risque de vous choquer, je dois vous l’annoncer : la stratégie proposée par les publicités ne fonctionne pas. Acheter ne supprime pas l’insatisfaction, mais la refoule!

À défaut d’être véritablement riches, les civils jouent au riche. Cette fausse prospérité me fait penser au tatouage, qui est si commun qu’il ne distingue plus personne. Tous se pavanent avec leurs nouvelles voitures, leurs beaux vêtements et leurs magnifiques photos de voyage, mais ne regardent qu’eux-mêmes. Ils n’impressionnent que leur banquier, qui jubile devant leur dette absurde.

Je me suis transformé en chien pour revendiquer la véritable richesse, la seule qui ne peut être achetée : le temps. Cette richesse n’est pas nouvelle ; le temps libre était autrefois le badge d’honneur des riches et nobles. Voilà une abondance qui plaît grandement au chien!

Qu’achèterais-je avec un million de dollars? Rien, car je ne joue pas au riche. Je n’achèterais pas d’objet, car je n’y obtiendrais aucune satisfaction.

J’aime uniquement l’argent dans la mesure où il me permet de gouverner mon temps. La vie de compromis guettant celui qui dépend d’un chèque de paie ne m’intéresse pas. La dépendance financière, à mes yeux, est une prison où l’on s’écrase soi-même par peur de précarité.

Riche est le nom que je donne à celle qui gouverne toutes ses secondes. Ce sacrifice du temps au profit des biens que vous appelez succès n’est qu’une route dorée menant vers la pauvreté : le manque de temps.

À l’époque où être pressé représente la prospérité, c’est la tête haute, et l’horaire épuré, que je rejoins les gueux.



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