Les habiles tours du Chien sèment souvent l’aversion. Bien que son savoir-faire en impressionne certains, il ne lui attire généralement que des regards jaloux. Il est ainsi devenu discret quant à ses réalisations, par peur de s’éloigner de ceux qu’il apprécie. Il en connait d’ailleurs qui seraient choqués par la facilité qui inonde ses journées.
La plupart m’attribuent cette aisance à la chance et au talent. C’est bien vrai, je suis un des rares qui se considère comme plus chanceux que la moyenne. Réjouissez-vous, car si vous avez le temps de lire ces mots, vous faites aussi partie de cette heureuse moitié.
Quant à mon talent, il ne m’est pas insuffisant, mais cela vient avec son lot de problèmes. Par sa faute, je n’ai jamais eu à suer pour réussir les cours de dressage qui m’ont été imposés. J’ai ainsi découvert le danger guettant l’être talentueux : comment ne pas y devenir un fainéant?
Comme le Lièvre de la noble Fable, l’individu doué se lassera vite s’il ne trouve pas un projet qui lui est difficile. Voilà pourquoi le Chien apprend tant d’acrobaties dans ses temps libre ; il doit se stimuler pour ne pas s’éteindre. Si je m’étais limité aux quelques tours qu’on m’enseignait en cours de dressage, ma vie serait terriblement ennuyeuse.
Ceux qui voient le talent comme l’antidote au travail s’assurent de ne jamais dépasser la médiocrité. Que vous en ayez ou non, l’importance que vous accordez au talent prédit l’ardeur avec laquelle vous travaillez. Le fataliste pour qui tout résultat est le fruit du talent justifie ainsi sa paresse. Lui qui n’est pas astucieux, pourquoi s’acharnerait-il à se dépasser? S’il était la Tortue, ferait-il une sieste?
Cette même paresse n’est pas étrangère au doué, chez qui elle prend forme de contentement. Ce qui est pire qu’un âne qui s’apitoie sur ses faibles capacités, c’est un talentueux fainéant. En se contentant du résultat acceptable qu’il atteint sans difficultés, il crache sur son grand potentiel.
Le talent n’est que l’aisance naturelle avec laquelle on apprend. Il amplifie la discipline et le travail, mais ne les remplace pas. On se plaît à oublier que toute grande chose exige un travail acharné. Il est plus facile de se consoler en prétendant que nos circonstances nous séparent de nos idéaux.
Le romantisme du talent et de la chance n’est qu’une illusion réconfortante. Travaillez comme s’ils n’existaient pas, et votre grandeur aura tôt fait de vous surprendre.