Être pressé, c’est pourchasser l’avenir en se débattant contre le présent. Cousin de la responsabilité, l’empressement nous prête un air important en nous convainquant qu’on a mieux à faire qu’être ici. Grâce à lui, on justifie notre essoufflement, nos demi-présences et notre visage sérieux.
On a parfois l’impression qu’une noblesse accompagne l’individu pressé. Son devoir semble exiger de lui un rythme inhumain, une véritable course contre la montre. « Laissez-moi passer, ma réalité est un combat! » dit le brave. Même ses divertissements sont à l’horaire ; au diable les plaisirs imprévus, ils n’ont qu’à se présenter à l’heure!
En tant que chien, je lève ma laisse à l’humain capable de fonctionner ainsi. J’y égarerais ma paix d’esprit. En fait, je ne connais aucun animal qui tolérerait ces contraintes.
L’idée de devoir se démener autant pour vivre m’est étrange. Être pressé n’a décidément pas l’air agréable. Pourquoi cet exercice est-il alors si populaire? J’ai demandé à un passant… mais ça l’a offusqué. D’un air résigné mais hautain, il m’a expliqué qu’il n’y pouvait rien. Les circonstances ne lui en donnaient pas le choix.
Les pauvres circonstances! Elles servent de bouc émissaire à tant de problèmes. Qu’a-t-on réellement à leur reprocher, elles qui nous rendent déjà la vie si facile? À l’ère des machines à laver, des autoroutes et des communications instantanées, il est impossible que cette course soit une fatalité.
Moi qui suis plus avare de temps que de biens, toute richesse exigeant le sacrifice de mon temps ne m’intéresse pas. Les idoles de votre monde me semblent bien pauvres : elles n’ont de temps que pour les tâches. À quoi bon une richesse n’offrant pas plus de liberté qu’une vie de chien?
Je vous l’annonce, être pressé n’est que le fruit d’une sournoise habitude mentale. À force de pourchasser des notes et promotions dorées, l’empressement est devenu notre état normal. On court si aveuglément que l’on en oublie la ligne d’arrivée. Nos épaules tendues sont l’unique trophée de cette course absurde, et nous y perdons la profondeur de nos relations et de notre vie.
J’aimerais prescrire un peu d’ambiguïté à l’horaire de chacun. Injectez du vide dans votre journée, au risque de ne pas traîner votre téléphone aux toilettes. Comment vous sentez-vous lorsque vous ne faites rien? Être occupé vous servirait-il de bouclier contre l’Étrange-Problème-Sans-Nom?
Voilà ma vision de l’enfer : être trop pressé pour prendre une marche.