Le Chien n’acceptera jamais l’amertume. Depuis longtemps, il sait que ce poison corrompt plus que tout autre sentiment. Le Chien a déjà vu l’amertume ronger l’âme d’êtres nobles et les rendre faibles, lâches et vicieux ; cette sombre déchéance l’attriste à chaque fois.
L’amertume élit domicile chez celui qui se connaît peu, et donc qui s’oublie trop. Celle qui muselle ses pensées par peur d’offusquer, ou qui cache sa frustration derrière un sourire froid, invite ainsi l’amertume à assiéger son âme. Voilà le danger que courent ceux qui, croyant être gentils, s’écrasent pour éviter d’importuner.
Comme un cafard, l’amertume s’infiltre dans ces esprits par une crevasse sombre et négligée. Elle devient vite bien aise ; la voilà qui fredonne déjà ses airs puants. « Tu souffres » chuchote-t-elle, d’une voix lourde et étouffante, en soulevant son doigt crochu, « et c’est leur faute! ».
Avez-vous déjà entendu cette voix? N’est-elle pas la voix du ressentiment et de la vengeance?
Rien n’étrangle autant le cœur que l’amertume, même pas la méchanceté. Voilà pourquoi je préférerais vous voir méchants qu’amers. On peut au moins admirer le méchant : n’est-il pas fort, courageux et indépendant? Le tyran a beau écraser, cela a au moins le mérite de rendre ses sujets plus robustes. Le méchant n’encourage-t-il pas d’ailleurs le courage des justes?
Contrairement à la méchanceté, l’amertume n’a rien de bon ; elle dégage une fumée infecte qui obscurcira votre conscience et videra de sens vos valeurs. Nul ne peut être grand dans l’amertume.
Le Diable n’est pas puissant, méchant et manipulateur. Ce vilain aurait toujours une lueur d’espoir, car il sait au moins se tenir debout! Non, le Diable n’est pas mesquin, il est amer. Il erre dans les coins, le ventre fiévreux et le regard fuyant. Il n’aime rien, car ses valeurs sont mortes : il a tué Dieu et crache sur l’Enfer comme sur le Paradis. Pour le Diable, l’existence elle-même est à écraser, qu’importe le bien ou le mal!
Passez cent jours dans la méchanceté, et vous finirez en prison. Mais passez-les dans l’amertume, en y broyant du noir jusqu’à éteindre toute lumière en vous, et vous terminerez six pieds sous terre, votre regard vide errant en première page des journaux.
« Pourquoi? » nous demanderons-nous. L’amertume, voilà pourquoi.
Ne jamais permettre à l’amertume de naître en soi, au risque d’offenser. Voilà la doctrine du Chien.