En lui-même et autour de lui, le Chien connaît bien la déprime. Au fil du temps, la déprime est devenue une vieille amie qui lui rend visite à l’occasion. Ces visites imprévues et éphémères ne nuisent pas au Chien. Au contraire, son passage lui sert de phare, qui illumine ce qui est faible en lui, et met en relief ses mensonges intérieurs. La déprime est certes douloureuse, mais le Chien ne peut nier son utilité.
J’en vois qui fuient la déprime, et d’autres émotions négatives, comme la peste. Pour eux, ces sentiments représentent bien plus qu’un simple désagrément: ils signifient l’échec, voire la preuve qu’ils ne valent rien. Voilà l’effet d’une culture où l’on cache tout sauf ses meilleurs jours ; tout ce qui n’est pas rose est désormais embarrassant. Honte à celle qui publie son mécontentement, ou une photo trop imparfaite!
La déprime produit plus de sagesse que le plaisir car on y découvre nos valeurs et nos amis les plus précieux. Celui qui dédaigne tout ce qui n’est pas jovial est certes amusant, mais ses œillères lui joueront un vilain tour. En tournant le dos aux émotions déplaisantes, il se prive de leur richesse et s’assure ainsi d’être fort dépourvu le jour où elles le rattraperont.
Observez celui digne d’admiration : n’est-il pas grand grâce à sa souffrance, et non malgré elle? Que celle qui aspire à se dépasser ne fuie pas la souffrance, mais l’accueille plutôt à bras ouverts! Celle qui ne se fie que sur ses beaux jours pour bâtir sa vie construira un château de verre : étincelant, mais qui s’effondre face au moindre coup de vent.
Ériger sa propre vie de sorte à garder la tête haute lors de ses plus mauvais jours, voilà la voie du sage. Il n’est pas facile de bien vivre, même dans l’harmonie ; mais vivre noblement dans le chaos, cela relève de la sainteté. Celui dont la discipline ne vacille pas en plein enfer mérite sa place au paradis.
Laissez votre déprime rugir comme un déluge, emportant sur son chemin tout ce qui est fragile et superflu en vous-même. Que votre caractère et volonté vous servent d’arche pour naviguer ces eaux brumeuses avec dignité. Le jour levé et les nuages dissipés, vous en ressortirez épuré, les yeux clairs et étincelants.
Ne vous y méprenez cependant pas : toute déprime n’est pas égale. Je parle ici de la déprime qui vient et qui repart, comme la nuit passagère qui absorbe la lumière du jour pour lui offrir un répit. Celui pour qui le jour ne se lève jamais devrait se tenir loin de mes mots : ils pourraient le blesser. Je ne suis pas le soleil dont sa triste âme a besoin.
Accueillir la déprime la tête haute, sans pour autant s’y attacher, voilà un art bien sous-estimé.