Je n’écris pas pour être lu. Si c’était le cas, j’aurais arrêté d’écrire depuis longtemps. Peu de textes sont lus, et parmi eux, seuls quelques-uns le sont attentivement. Mais que l’écrivain ne se décourage pas : l’écriture est toujours précieuse, même lorsqu’elle est négligée.
Écrire, c’est mettre ses pensées sur papier. Celle qui écrit bien parvient donc à solidifier et à rendre cohérent son fil de pensées. Comme le témoignent les textes de piètres écrivains, cet exercice est profondément difficile. Essayez d’écrire une seule idée et vous le verrez : une fois écrites, nos pensées paraissent décousues, superficielles et imbues de nous-même.
Quand j’étais chiot, on a tenté de m’apprendre l’écriture. Mes enseignants pointaient fièrement du doigt des fautes de grammaire, d’orthographe ou de conjugaison. Ils me reprochaient mes textes trop longs, ou ceux qui choquaient leur morale sensible. J’aime offusquer par écrit, et peu de plaisirs surpassaient celui de troubler ma correctrice. Mais à quoi peut-on s’attendre d’un chien? Qu’il écrive sans japper?
En fait, ces enseignants ne n’apprenaient pas l’écriture, mais les règles de l’écriture. Débuter sa phrase par une majuscule et la terminer par un point. Accorder l’adjectif avec le nom auquel il se rapporte. Voilà que je pouvais écrire sans faute ; mais qu’avais-je à dire? Des platitudes prévisibles, que je régurgitais machinalement pour obtenir de bonnes notes.
Mais un beau jour, j’ai écrit ce à quoi je pensais, sans souci de plaire ou de répondre à un critère. J’étais initialement fier de mon texte, mais cette fierté fût rapidement détruite. En me relisant, j’ai eu mal au cœur. « Est-ce ce à quoi ressemblent mes pensées? » me suis-je exclamé, perturbé. « Ce texte n’est qu’un désordre confus, rempli de clichés et d’adverbes prétentieux! »
L’écriture est un miroir que ne ment pas. Il est facile de se trahir par la pensée ou la parole, car les mensonges y sont alors trop éphémères pour être démasqués. Mais lorsqu’il est écrit, le mensonge ne peut être ignoré car il souille le papier qui l’héberge. Lire sa propre plume est ainsi un exercice d’introspection et d’humilité.
Écrire me force à rejeter les idées dont j’ai honte, et à explorer celles qui m’intriguent. Je n’écris ainsi pas pour être lu, mais pour m’éclaircir.