la griffe du chien 🐶 wouf

Le juge

L’idéal est impitoyable et demande que l’on soit courageux. Celle qui l’accepte s’en rendra vite compte. En s’établissant un idéal, elle ouvre la porte à une terrifiante possibilité : celle de ne pas être à la hauteur. L’idéal est ainsi toujours accompagné d’un juge. Viser le sommet, c’est reconnaître notre basse altitude, et le possible échec de notre ascension.

L’idéal est une destination, et toute destination crée la possibilité d’une mauvaise direction. Quiconque vise un objectif remarquera que deux chemins s’offrent désormais à lui : celui qui l’approche de son objectif, et celui l’en éloigne. Un dilemme constant vole ainsi au-dessus de sa tête comme un juge céleste. Toute action sera dès lors évaluée sous la lumière de ce nouvel objectif. Le juge a l’idéal a cœur et sépare donc les faux-pas de la voie juste.

La présence de ce juge n’est pas de tout repos, surtout pour celui qui a grandi dans une acceptance trop généreuse. Ce dernier n’a pas d’objectif, et ne connaît donc pas l’erreur. « Je ne vais nulle part de toutes façons! » râle-t-il au chef de gare, qui lui signale qu’il a manqué son train.

Voilà pourquoi il est tentant de ne croire en rien : cela rend l’échec impossible. Dans un monde sans idéal – et donc sans juge -, tout est permis. Cette liberté a toutefois un côté très sombre : dans ce monde, plus rien n’a de valeur. Tout est ainsi égal. C’est là une belle excuser pour rejeter tout sens que puisse avoir la vie, et se laisser tomber dans un abandon insouciant.

Mais le véritable nihilisme – le rejet de toute valeur – est impossible. Celui qui prétend ne croire en rien est une contradiction vivante. Derrière chacune de ses actions se trouve un juge : comment cet homme a-t-il choisi ses vêtements ce matin? Pourquoi marche-t-il par ici plutôt que vers là-bas? Pourquoi me parle-t-il ainsi, et non pas de cette autre manière? Le nihiliste est le plus grand des hypocrites : sa doctrine ne sert qu’à justifier sa lâcheté. « Croire en rien » n’est pour lui qu’un prétexte pour rejeter ses responsabilités et cacher l’angoisse qu’il ressent devant la vie.

L’intellect de cet homme a beau être tombé dans un cul-de-sac, sa conscience ne s’est pas éteinte pour autant. Ne ressent-il pas encore de l’admiration, voire son contraire, le dédain? N’a-t-il pas honte de plusieurs de ses actes, et n’est-il pas fier de quelques autres? Ces sentiments ne peuvent être décimés par la noirceur de la pensée : ils pointent le chemin de la délivrance.

L’idéal est souvent difficile à articuler. En vérité, tous les grands idéaux échappent aux doigts comme le sable fin. Mais le juge, lui, se manifeste avec une clarté impossible à méprendre. Si vous ne connaissez pas votre idéal, observez plutôt le juge qui siège en vous-même. Il vous guidera jusqu’à l’idéal.

Le juge est un compas sans pitié ; c’est pourquoi certains préfèrent le tuer en balayant leur idéal du revers de la main. Mais voilà qu’ils naviguent sans gouvernail. Ne remarquent-ils pas qu’ils dérivent?



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