La petite voix mentale est une bien étrange chose. « Être une chose », c’est d’ailleurs l’impression qu’elle aime donner. On est si habitué à cette voix que nul autre n’entend qu’on ne la questionne plus. Narratrice des pensées, désirs et intentions, elle est la seule amie imaginaire qu’on ne retrouve pas seulement chez les « fous ». Pourtant, elle provoque beaucoup de tourments.
Que seraient les dépendances et névroses sans cette petite voix qui les déguise si habilement, comme pour nous y hameçonner? Ces dialogues mentaux imposent un contexte à nos expériences, nous séparant ainsi de la réalité. En étiquetant tout ce que nous percevons, la voix dénude le monde de son caractère unique et fascinant. Voilà pourquoi les gens dits « rationnels » sont si facilement blasés. Malheureux, ils n’ont jamais admiré de coucher de soleil … ils n’y voient que la froide information « soleil qui se couche ». Ils vivent ainsi dans un rêve de déjà vu.
Cette petite voix, on y est si attaché qu’on ne voit pas d’alternative à sa présence. Comment serait votre existence sans elle? Froide? Effrayante? Vide? Votre inconfort face à ce silence explique pourquoi elle est si bavarde. En meublant votre espace mental, elle vous garde préoccupé et un peu pressé, à l’image d’une fidèle lectrice du Journal de Montréal. Ce n’est qu’en vous enivrant de la sorte qu’elle peut atteindre son objectif ultime : vous posséder en vous convainquant qu’elle s’appelle « Je ». Votre petite voix veut voler votre trône! Ne croyez pas son chant prétendant être votre volonté!
Parvenez-vous à dicter ses monologues, ou est-ce elle, par ses habiles discours, qui vous contrôle? Tentez de la taire et vous verrez qu’elle n’obéit qu’à elle-même. Je vous l’annonce, vous n’êtes pas cette petite voix qui vous suit partout. Elle n’est que l’ombre de vos expériences passées, rien de plus qu’une bibliothèque d’habitudes mentales. Traitez-là donc ainsi, comme un ouvrage de référence qu’on ne sollicite qu’à l’occasion.
Vaincre la petite voix n’est pas chose facile. Vous qui l’avez tant adorée, elle sera bien embêtée de vous voir vivre sans elle. Cette voix est devenue narcissique et s’époumonera à vouloir vous rattraper. Ne la laissez pas vous berner!
Le chien a souvent navigué ces eaux et a longuement observé la petite voix. Il a ainsi découvert sa plus grande faiblesse. On ne peut pas taire la voix par la force, mais on peut avorter son dialogue. L’entendez-vous, elle qui parle si vite? On a peine à distinguer le silence séparant ses mots. C’est ainsi qu’elle se garde en vie. Comme un film, sa fluidité lui permet d’exister. Brisez cette chaîne, et vous la verrez battre de l’aile en retraite. Trouvez le vide entre ses phrases et consacrez-y toute votre attention. Devenez plus intéressé par ses virgules que par ses mots, et vous la tairez. C’est la seule faille de son armure.
Je me suis transformé en chien: une petite voix, je n’en ai plus, et je n’en veux plus. Qu’elle me visite si elle le désire, mais elle me trouvera peu hospitalier : je n’ai rien à me dire.