la griffe du chien 🐶 wouf

La pyramide

Alors que j’étais encore chiot, on m’a enseigné que la vie bien vécue avait l’allure d’une pyramide. Grandir demandait que l’on s’appuie sur une base solide, me disait-on. Sans elle, on demeurerait fragile et on ne pourrait jamais s’élever.

Des connaissances robustes, d’excellentes notes et un grand cercle d’amis: voilà des avantages que tu garderas toute ta vie. Concentre-toi sur ces fondations, car la vie est une pyramide, jeune chiot! Celle qui souhaite croître dans la finesse et la hauteur doit d’abord bien s’ancrer ; l’histoire n’est-elle pas remplie de grandes personnes ayant perdu pied? Plus on est haut, plus notre chute est lourde ; n’oublie jamais cela.

Ayant toujours eu peur d’être faible – c’est là une de mes grandes faiblesses – je me suis empressé de tailler quelques pierres. Je dévorais des livres, rencontrais de nouveaux chiots et entretenais des idées fraîches ; c’était là mes fondations.

Mais un beau jour, après avoir garni ma pyramide d’une nouvelle pierre, j’ai pris un peu de recul pour admirer ma création. Ce que j’ai vu m’a fait trembler : ma pyramide était croche, et bâtie dans un marécage!

Aveuglé par la peur de rater ma vie, j’avais oublié de m’observer. Je m’étais construit sans plan, et maintenant, tous mes accomplissements semblaient insignifiants. J’avais étudié sans questionner ce que j’apprenais, travaillé sans réfléchir à mes aspirations et vécu sans me demander ce que je devenais

Je faisais face à un dilemme déchirant. Devais-je faire ignorer ces graves lacunes, et continuer à ériger ma pyramide déjà bien avancée? Ou devais-je la détruire, récupérant ce qu’elle contenait de vrai et durable, et migrer vers une contrée où je pourrais la repenser et la rebâtir?

En vérité, j’en avais déjà trop vu. Un seul choix m’était possible. Ma pyramide avait perdu toute sa valeur : si je ne l’avais pas détruite, c’est moi que j’aurais éteint. Qu’aurait été le sommet de cette froide pyramide? Une vie de cubicules grisâtres, où j’aurais souhaité accélérer les aiguilles de l’horloge jusqu’au vendredi soir? Rien n’est plus toxique pour l’âme qu’un travail vide de sens : cette vieille pyramide me dirigerait droit en enfer.

Cette pyramide m’avait pourtant servi jusqu’à maintenant : n’y avais-je pas appris à lire? Mais cette ancienne amie m’écrasait désormais la tête et m’étouffait l’esprit. Je devais muer, laisser tomber ce vieux refuge comme une peau morte, pour continuer à grandir.

J’ai donc détruit cette pauvre pyramide! Et je dois le dire, sa destruction fût bien amusante. Mais une fois en ruines, l’effroi m’a saisi : plus rien n’avait désormais de valeur. Le vide, ce vieux compagnon boiteux, m’avait rattrapé.

C’est ainsi que j’ai vu que l’évolution n’était pas qu’une pyramide : elle avait aussi la forme d’un oignon. J’en discuterai bientôt.



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