J’ai toujours observé les grandes personnes d’un œil curieux, car l’importance qu’elles accordaient au travail me semblait exagérée. Pourquoi les adultes se démenaient-ils autant pour vivre? Certains prétendent que nous vivons dans un pays riche, mais cela est faux. Seul un impécunieux accepterait de vivre à ce rythme effréné.
J’ai grandi en cherchant une porte de sortie. Le monde des adultes qui m’attendait avait l’air ennuyeux et superficiel. Comme un animal pris au piège, je balayais d’un regard nerveux mon entourage. J’espérais découvrir un individu qui m’inspirerait, devant qui mon cœur s’exclamerait « Je veux vivre ainsi! » Mais ce sauveur ne s’est jamais présenté.
J’ai fini par abandonner mes recherches. J’ai cessé de croire au mythe me suggérant de « trouver ma voie » ou de « découvrir ma passion ». Je me rappelle d’adultes prétendant qu’il me suffirait de trouver « la bonne carrière », et qu’ensuite tout irait bien. Par chance, je n’ai jamais écouté les conseils de ceux que je n’admirais pas. Le moine, le poète et l’ermite ont cela en commun : ils refusent de se contenter d’une vie à moitié vraie.
Je refuse de « trouver ma place » dans un monde qui ne m’emballe pas. Mis à part me loger, me vêtir et me nourrir, je ne partage aucun des désirs des civils, et ainsi, suivre leur voie n’aurait aucun sens. Je n’aspire qu’à gouverner mon temps, et à vivre de la façon la plus vraie possible. Voilà comment je mènerai ma vie. J’aime vivre! C’est bien là le problème : je suis déjà trop satisfait avec trop peu ; les fruits de la vie mondaine ne me motivent pas.
Chaque jour, une idée m’obsède, parfois jusqu’à m’en donner la nausée. « Que penserai-je de ma vie sur mon lit de mort? » Une seule réponse parvient à soulager mon inquiétude : garantir la satiété de mes besoins de base, et investir le reste de mon temps dans la poursuite de projets significatifs. Dans la mesure où je respecte cette voie, je crois que mon décès sera serein.