« J’aime dormir! » s’exclame celui qui s’observe peu. Le sommeil n’est qu’une longue inconscience au sein de laquelle son identité disparaît. Lui qui s’absente ainsi de son propre sommeil, comment peut-il l’apprécier? Ce qu’il aime, ce n’est pas dormir, mais le bref sentiment de lâcher-prise qui précède son sommeil.
Le sommeil vous impose un repos mental et physique régulier. Sans cette contrainte, j’en connais qui ne s’accorderaient pas une seule seconde de répit. Faites-vous partie de ces boute-en-train qui ne se détendent que lorsqu’ils dorment? S’épuiser le jour pour mieux s’amollir la nuit : voilà une façon de vivre bien assommante. Le sommeil cherche à vous ralentir ; entendez-vous la leçon qu’il vous enseigne?
Certains n’attendent pas leur lit pour dormir ; leur vie semble être un sommeil constant. Ils trouvent dans l’inconscience un plaisir réconfortant. Qu’ils travaillent ou se divertissent, ils convoitent les moments d’abandon. Ils se tiennent pressés, car cela les libère de leur petite voix et engourdit leur conscience, qui s’irrite lorsqu’elle est sobre.
Dormir est un art difficile à pratiquer. En se levant à l’heure, les civils s’assurent de ne jamais être debout à temps. Ainsi, beaucoup ne dorment pas assez, et quelques-uns dorment trop.
La seule chose qui soit supérieure à bien dormir, c’est bien s’endormir. Celui qui s’endort bien s’entraîne, au moins une fois par jour, à relâcher ses pensées, ses intentions et surtout, sa conscience. Arrivez-vous à vous endormir paisiblement sans vous divertir? Celle qui parvient à se jeter dans le néant chaque soir se prépare pour le Grand Relâchement.
Eh oui, en vous endormant, vous vous préparez à mourir. C’est pourquoi je dors peu : lorsque je dors trop, j’égare le sommeil.