la griffe du chien 🐶 wouf

La parole

J’ai remarqué quelque chose de peu flatteur à propos de mes paroles : souvent, elles ne m’appartiennent pas.

Depuis longtemps, j’écoute d’une oreille curieuse les paroles qui percutent. Comment la simple parole peut-elle toucher l’âme de ceux qui l’entendent, et faire briller leurs yeux? Pourquoi untel parvient-il à émouvoir par son discours, alors que ce même discours, articulé par une autre bouche, ennuie et sonne faux?

J’admire les grands orateurs, et comme tous ceux que j’admire, j’aspire à devenir comme eux. Mais cette aspiration est impatiente, et elle m’a joué un vilain tour.

L’autre jour, au beau milieu d’un monologue, une réalisation m’a frappé : les mots qui sortent de ma bouche ne sont pas les miens. Affamé de reconnaissance, je parlais pour impressionner, et non pour communiquer. Je répétais de belles phrases que j’avais entendues d’autres bouches, ou lues d’autres plumes. Le regard hautain, j’étalais des idées qui ne m’appartenaient pas, pour exercer une influence à laquelle je n’avais pas droit. J’étais un perroquet : un porte-parole d’idées que je n’avais pas intégrées à mon être.

Ma conscience me torturait. « Tu mens, et tu le sais » me chuchotait-elle, aussitôt que j’énonçais les paroles d’autrui pour charmer ou convaincre. « Tu ne parles pas par expérience ; tu récites de mémoire! » renchérissait-t-elle, « ton être n’est pas à la hauteur de ton discours! »

Il existe deux sortes de fausses paroles. La première est la parole dont le contenu est faux, comme la Terre est plate, ou j’adore les comédies musicales. La deuxième parole mensongère est plus subtile. Elle n’est pas fausse en soi, mais tout ce qui l’entoure pue la fausseté. Cette parole est dite sans profondeur ni respect, comme vulgaire suite de syllabes pratique. C’est ce genre de mensonges qui nous répugne chez le politicien au discours rédigé d’avance : ses mots ne cherchent qu’à plaire – ou encore pire, à ne pas offusquer. Même la vérité, prononcée par une telle bouche, crispe les tympans. 

C’est de ce deuxième type de mensonge que je suis coupable. Trop de mes paroles sont des emprunts négligents ; mes arguments, des théâtres flottant dans le vide. « Pourquoi grandir lorsqu’on peut imiter le discours des grands? » Voilà le misérable raccourci que j’ai voulu prendre. J’ai vendu les fruits d’arbres que je n’ai pas plantés. Ce sacrilège a rendu ma bouche sèche et acide : tous les mots qui en sortent sont désormais tièdes et sans effet.

Les faits ne suffisent pas à rendre un discours vrai. Pour cela, le discours doit être le chant de l’expérience, ne faisant qu’un avec celui qui l’exprime!

Un professeur de marketing pauvre, un psychologue névrosé et un médecin gras : ces ridicules personnages peuvent seulement exister dans un monde où on confond l’accumulation de faits avec la compétence. L’intellectuel moderne est un nain au cerveau géant ; son intellect hyperactif ne camoufle-t-il pas un être faible et sous-développé?

J’aspire à ce que mon discours soit une manifestation de ce que j’ai découvert, compris et intégré. Pour l’instant, mes idées sont des ingrédients désordonnés, ramassés ici et là, que je ne sais cuisiner. Je m’appuie sur les épaules de géants, mais je suis encore trop petit : même avec cet appui, je ne dépasse pas leur tête!

Que je lise pour me transformer, et non pour accumuler des idées comme on collectionnerait des timbres. Que j’apprenne pour devenir plus résilient, et non pour satisfaire les exigences qui m’entourent. Que j’écrive pour approfondir mes propres idées, et non pour impressionner ceux qui me lisent.

Les idées de grandes personnes sont séduisantes. Il est difficile de résister à la tentation de se les approprier comme si elles étaient les nôtres. J’ai trop vu cette habitude en moi, et elle me dégoûte maintenant. L’heure est venue de la rejeter comme une vieille peau.



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