Il y a eu une époque où je me trouvais anormal. Confronté par les intérêts, compétences et névroses uniformes des braves gens, j’ignorais comment exister sainement sans me trahir moi-même. Ce combat douloureux guette d’ailleurs tous les marcheurs des chemins ne menant pas à Rome ; serez-vous suffisamment vigoureux pour contrer le courant ?
Par chance, cette pression n’a pas été assez nocive pour m’éteindre ; elle m’a même rendu plus fort. C’est grâce à elle si je me suis transformé en chien ! À force d’entendre que je ne n’étais pas normal, j’ai profondément questionné la normalité. J’ai alors réalisé qu’être normal n’impliquait pas être sain, mais seulement être moyen. Ce qu’on aime de l’individu normal, c’est son côté commun et invisible : il n’excelle en rien mais ne dérange personne.
L’anormalité n’est ainsi pas un défaut en soi, mais un simple synonyme de non-conformité. Voilà pourquoi je remercie désormais ceux qui soulignent mon anormalité. Ces paroles sont de précieux guides pointant mon hypocrisie : leur absence signale ma possible inconscience.
Observez attentivement ceux qui vous entourent : vous remarquerez que personne n’est parfaitement normal. Tous pourraient être invités au Dîner de cons si on leur posait les bonnes questions! Oh, mais j’en entends déjà s’opposer à mes paroles. À celui qui est fier de sa normalité, et qui la croît saine, je demande ceci :
– Ton amour des possessions est-il normal ?
– La tyrannie de ta petite voix est-elle normale ?
– Ta terreur vis-à-vis la mort est-elle normale ?
– Ton malaise devant l’absence de divertissement est-il normal ?
Ne prêtez pas oreille à ceux qui vous suggèrent d’être plus normaux. Votre aisance singulière choque leur monotonie, mais nul ne devrait se refouler pour éviter d’offusquer. De toutes façons, la normalité absolue est un idéal fictif et inatteignable.
Trouvez ce qui n’est pas normal en vous, et honorez-le ; ainsi vous transcenderez la normalité. Que votre anormalité hisse tout votre être à son niveau!